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La détention préventive dans la justice pénale gabonaise.

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Aborder la question de la détention préventive, ce n’est jamais pour en dire du bien. Le plus souvent, c’est pour dénoncer les dérives de celle-ci, tant dans son principe même que dans les excès de son utilisation, en quantité comme en durée. En réalité, le problème majeur se trouve dans le fait qu’un magistrat ait le pouvoir de décider qu’une personne simplement soupçonnée d’avoir commis une infraction puisse être enfermée dans un établissement pénitentiaire, pour un temps déterminé – indéterminé dirait-on -, avant même son jugement.

Qu’est-ce que la détention préventive ? On entend par là un emprisonnement sur mandat judiciaire, subi avant l’intervention d’un jugement définitif. La population carcérale est ainsi composée de « prévenus » et de « condamnés » : les premiers sont sous l’effet d’une détention préventive et sont donc dans l’attente d’un jugement ; tandis que les seconds ont déjà fait l’objet d’une condamnation ayant acquis le caractère définitif.

Comme bien des débats concernant le fonctionnement du système de justice pénale, ceux qui portent sur la détention préventive ont le plus souvent recours aux nombres pour démontrer combien il est nécessaire de réduire, autant que faire se peut, l’usage de cette mesure. Selon le Rapport sur la visite au Gabon du Sous-comité des Nations Unies pour la Prévention de la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants publié le 23 juin 2015, au 5 décembre 2013 la prison de Libreville accueillait 1656 détenus dont 1168 prévenus pour 485 condamnés, ce qui fait plus de 70% de prévenus ; celle de Lambaréné 150 prévenus pour 76 condamnés, alors que Port-Gentil contenait 2/3 de prévenus. On doute que la situation se soit améliorée jusque-là.

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité gabonais, n’énonce-t-elle pas que « Tout homme est déclaré innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable » ? Dans l’esprit de beaucoup, la personne mise en détention préventive devient un présumé coupable et son incarcération s’analyse le plus souvent en une condamnation immédiate.

La confusion ainsi entretenue est largement tributaire de la méconnaissance de l’institution et de l’ignorance des textes qui en définissent les contours.

Cela dit, comment le législateur gabonais encadre-t-il la détention préventive ?

Ce sont principalement les articles 115 à 130 du code de procédure pénale gabonais, réformé par la Loi n° 36/2010 du 25 novembre 2010, qui constituent la réglementation en matière de détention préventive. Ce texte réglemente et encadre tour à tour le placement en détention provisoire, sa durée et son extinction.

I-   Le placement en détention provisoire

Avant toute chose, il faut préciser que le placement en détention préventive peut être décidé à tout moment de l’instruction judiciaire, mais seulement contre une personne préalablement inculpée. Cette inculpation se réalise par le moyen d’un interrogatoire au cours duquel le juge d’instruction fait connaître expressément à la personne mise en cause chacun des faits qui lui sont reprochés. L’article 116 du code de procédure pénale gabonais énonce qu’à partir de cet instant « l’inculpé doit être informé de son droit à l’assistance d’un conseil de son choix ou commis d’office ». C’est seulement après l’inculpation que le juge d’instruction peut décider d’une mesure de détention provisoire. En principe, on considère qu’à partir du moment où le juge d’instruction prend une mesure de détention préventive, c’est qu’il estime, dans l’espèce en cause, que le contrôle judiciaire qui a été fait préalablement s’est avéré insuffisant.

L’article 116 du Code pénal nous enseigne ensuite que la détention préventive se déclenche par le mandat de dépôt délivré par le juge d’instruction, qui doit être signé en même temps qu’il prend une ordonnance expliquant sa décision. C’est un mandat donné par ce magistrat au surveillant-chef de la maison d’arrêt de recevoir et détenir l’inculpé. Dans le cas où l’inculpé viendrait à s’échapper par exemple, le mandat de dépôt permettrait de déclencher les recherches et son arrestation. Nous avons vu que dans l’affaire des putschistes qui ont été interpellés après le « coup d’état » manqué du 7 janvier dernier, ainsi que de leur présumé complice Ballack Obame, membre du mouvement des jeunes de l’Union Nationale, le procureur de la République auprès du tribunal judiciaire de première instance de Libreville a annoncé leur placement sous mandat de dépôt. Cette annonce marque le commencement de la détention préventive de ces prévenus et on en déduit donc que l’instruction judiciaire qui s’est déroulée jusque-là n’a pas suffi à démontrer leur responsabilité dans les faits reprochés.

Mais, qu’est ce qui justifie au juste la mise en détention préventive ? Le juge d’instruction doit motiver les raisons pour lesquelles il décide de placer une personne en détention préventive ; ces motifs restent toutefois limitativement énumérés par l’article 115 du code de procédure pénale. Elle est nécessaire :

–       Lorsqu’elle est « l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ». On déduit ici que la personne soupçonnée ait l’intention et la possibilité de faire disparaître les traces, objets ou documents nécessaires à la manifestation de la vérité.

–       Lorsqu’elle est « l’unique moyen d’empêcher une pression sur les témoins ou victimes ». Il arrive en effet fréquemment que la mise en cause d’une personne repose sur les déclarations de témoins ou de victimes de faits. Si l’inculpé est mis en liberté, il existe un risque que celui-ci cherche à entrer en contact avec ceux-là pour les amener, par exemple sous la menace, à modifier leur déclaration.

–       Lorsqu’elle est « l’unique moyen d’empêcher une concertation frauduleuse entre l’inculpé et les complices ». Cette motivation suppose la participation de plusieurs personnes à la commission de l’infraction : le risque de concertation, par exemple pour modifier les déclarations déjà faites dans le but de limiter les responsabilités ou d’échapper à l’action en justice.

–       Pour « conserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction ».

–       « Pour mettre fin à l’infraction ou pour prévenir son renouvellement ». C’est le cas des infractions continues pour lesquelles il peut s’avérer utile d’empêcher par ce moyen qu’elle ne se poursuive.

–       « Pour garantir la représentation de l’inculpé devant la justice ». En effet, le domicile de l’inculpé peut être difficilement identifiable et, dans ce cas, la détention peut être le moyen de s’assurer de sa présence pendant la durée de l’information et le jour du jugement.

II-   La durée de la détention provisoire

Une fois la détention préventive décidée par le juge d’instruction, il convient de déterminer quelle peut être sa durée. Cette question de la durée semble poser le plus de problème. La réponse à la question « combien de temps doit durer une détention préventive ? » semble moins relever de la loi que de l’art divinatoire.  

Récemment par exemple, la cour d’appel judiciaire de Mouila a acquitté deux jeunes gabonais après avoir passé trois années en détention préventive. En l’espèce, alors que le 31 mai 2015 Stéphane Ibinga se trouvait dans un hangar de vin de palme, un débat portant sur la question des crimes dits « rituels » conduira le jeune homme à dire – peut être sous l’effet de l’alcool – qu’il en a déjà été l’auteur pour des faits remontant à 2014. Cette déclaration n’étant pas tombée dans l’oreille d’un sourd, un autre consommateur s’empressera alors d’en faire le lien avec l’assassinat de son frère survenu dans la même période. Les agents de la police judiciaire, sur dépôt de plainte du consommateur inconnu, interpelleront Stéphane Ibinga ainsi qu’Ezéchiel Nyambi son complice. Après leur avoir avoué, tour à tour, leur implication dans la commission de ces crimes, les prévenus reviendront sur leurs aveux en confiant au juge qu’ils avaient été contraints d’avouer le crime sous la menace des agents. La cour d’appel judiciaire de Mouila prononcera le 28 janvier 2019 la remise en liberté des prévenus, après que ceux-ci aient passé trois ans et sept mois en incarcération.

On ne pourra saisir les difficultés de cette espèce qu’après avoir pris connaissance des prescriptions légales en matière de durée de la détention préventive. La loi distingue selon que l’infraction reprochée soit un délit ou un crime.

En matière correctionnelle, nous dit l’alinéa premier de l’article 117 du code de procédure pénale, « la durée de la détention préventive peut excéder six mois ». L’écriture de ce texte semble inquiéter : cette durée « peut » excéder six mois, auquel cas on peut conclure que finalement la détention préventive peut être à durée indéterminée ; ou « ne peut » excéder six mois, hypothèse plus plausible mais surtout cohérente compte tenu de l’alinéa suivant sur la durée en matière criminelle… ? On préfère privilégier la deuxième proposition et retenir que la durée initiale ne peut excéder six mois, auxquels on pourra adjoindre six mois supplémentaires si le juge d’instruction estime que l’inculpé doit demeurer en détention au-delà d’un an, après avoir communiqué le dossier à la chambre de l’accusation qui, elle, se prononcera par un arrêt motivé rendu après réquisitions du procureur général. En tous les cas, l’écriture de ce texte – quoique maladroite – nous enseigne que la durée maximale de la détention préventive en matière correctionnelle ne peut excéder douze mois, prolongation y compris.

En matière criminelle, « la durée de la détention préventive ne peut excéder un an ». Toujours dans les mêmes conditions que celles de l’alinéa précédent, le juge d’instruction peut demander à la chambre d’accusation que soit prolongée la durée de la détention ; mais cette prolongation « ne peut excéder six mois ». Ce qui revient à dire qu’en matière de crimes, et tel qu’est rédigé le texte, la durée maximale de la détention préventive ne peut excéder dix-huit mois.

Si l’on confronte les faits mentionnés ci-dessus avec les prescriptions légales en vigueur, comment se fait-il qu’on ait des durées hors du commun ?

Nous pensons que ces anomalies sont directement liées, d’abord, à l’inefficacité du service public de la justice, laquelle à son tour est en partie la conséquence de l’absence de moyens financiers permettant un fonctionnement normal. Sinon comment expliquer qu’un prévenu, qui  vient de passer quatre années en détention préventive, voit son séjour prolongé du seul fait que le greffe a oublié de transmettre la décision de sa libération aux autorités pénitentiaires ? Ou encore, comment expliquer que sur l’année 2014-2015, toutes les audiences d’assise de Lambaréné ont été annulées ?

Ainsi, dans un souci de limiter au mieux le recours à cette mesure, ne serait-ce pas plus opportun de réfléchir sur d’autres peines, en dehors de la privation de liberté, pour des délits spécifiques d’une moindre gravité ? Si c’est réellement le manque de moyens financiers, nécessaires au bon fonctionnement du système judiciaire, pourquoi ne pas privilégier des alternatives qui coûteraient moins à l’Etat ? La détention préventive devrait être utilisée uniquement lorsqu’aucune autre solution raisonnable ne permet de faire face aux risques véritables de fuite ou de danger pour la collectivité. L’Etat défendrait davantage les intérêts de leurs citoyens en dépensant moins dans l’emprisonnement d’individus présumés innocents.

 

III-  La fin de la détention préventive

La détention préventive peut prendre fin dans plusieurs cas.

Tout d’abord, l’article 118 du code de procédure pénale nous apprend que la détention préventive peut prendre fin pour non-respect des délais dans deux hypothèses. Premièrement, si le juge d’instruction et la chambre d’accusation ne statuent pas avant la fin du délai légal de la détention provisoire, l’inculpé doit être mis d’office en liberté « par le ministère public ».Ensuite, à l’expiration de la prolongation accordée par la chambre d’accusation, l’inculpé doit, là encore, être mis d’office en liberté par le ministère public.

L’article 122 du code de procédure pénale

ajoute encore que la mise en liberté provisoire peut être demandée à tout moment par l’inculpé ou son conseil au juge d’instruction, qui doit en informer le ministère public et la partie civile, afin que ceux-ci émettent leurs réquisitions et observations. Le juge d’instruction a ainsi huit jours pour statuer sur la demande de liberté provisoire, à défaut de quoi, l’inculpé et son conseil saisissent la chambre d’accusation qui doit statuer dans un délai de huit jours encore. Si celui-là à son tour ne statue pas, l’inculpé est en droit d’être remis en liberté par le Procureur général.

Une chose est certaine : dans les deux cas que nous venons d’évoquer, le rôle du ministère public est primordial dans la mise en liberté de l’inculpé puisqu’à chaque fin de procédure c’est lui qui doit l’ordonner. N’est-ce pas contradictoire que le ministère public, qui par principe est partie dans le procès pénal, ait la charge d’« ordonner » la libération provisoire d’un inculpé ?Si son intervention est justifiée par l’inertie préalable des juges d’instruction et de la chambre d’accusation, pourquoi ne pas créer une dernière institution indépendante,  chargée d’ordonner la mise en liberté provisoire ?

 

Enfin, la détention préventive peut logiquement prendre fin en cas de jugement définitif. Lorsque la personne est restée en détention provisoire jusqu’à ce qu’une juridiction de jugement statue sur sa culpabilité et la peine, cette décision mettra fin à la détention provisoire. Si elle est condamnée à une peine d’emprisonnement avec maintien en détention, la détention préventive cesse et l’exécution de la peine d’emprisonnement ferme s’applique. La durée de la détention préventive viendra se déduire de la peine d’emprisonnement ferme prononcée par la juridiction. C’est le cas par exemple de Frédérick Massavala qui, ayant passé un an et cinq mois en détention préventive avant son procès au cours duquel on lui a infligé cinq ans d’emprisonnement dont trois avec sursis, il ne lui reste à purger que 5 mois en incarcération ; son séjour aux geôles sous l’effet de la détention préventive vient se déduire de la peine encourue.

 

Nous constatons donc que le mécanisme de la détention préventive, si l’objectif est de permettre une bonne instruction de l’infraction pénale, voit son principe de plus en plus dévoyé par la pratique judiciaire. Censé respecter un juste équilibre entre l’ordre, l’intérêt de la société et le respect des droits et libertés fondamentaux, on constate malheureusement que la pratique a fait son choix en méconnaissant les principes fondamentaux d’une bonne justice. Que fait la société civile ? A quoi servent nos représentants du Palais Léon Mba ? Comme on l’a entendu récemment, le respect des droits de l’Homme n’est-il finalement qu’une conception de l’esprit, bonne qu’à nous faire rêvasser devant la télévision ? Enfin et surtout, à quoi sert la justice ?

 

Terence Asseko Akoma

 



Ecrit par :
Terence Asseko Akoma

Juriste / Élève-avocat Co-fondateur de Que Dit La Loi