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Nouveau Code de la communication: entre incohérences et Inconstitutionnalité

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Par Pharel BOUKIKA*

« La liberté de tout dire n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d’elle-même et son triomphe est assuré » disait déjà Jean Paul Marat.

Dans un arrêt de la CEDH Godwin c/ Royaume Unie du 27 mars 1996,   la Cour Européenne des Droits de l’Homme a souligné le rôle de la presse, qualifiant les journalistes de « chiens de garde de la démocratie », dès lors qu’elle fournit des informations sérieuses sur des questions d’intérêt général. En y prenant appuie, cet arrêt de principe, consacre l’idée selon laquelle, l’essence de la démocratie est de permettre la discussion et la critique des positions politiques diverses, même celles qui remettent en cause les pratiques d’un État, pourvu qu’il ne porte pas atteinte à la démocratie elle-même.

C’est au regard du caractère fondamental de cette liberté et au nom de notre attachement le plus absolu dans la force des principes, que notre constituant va consacrer dans son titre préliminaire DES PRINCIPES ET DROITS FONDAMENTAUX, un article 1er dont l’alinéa 2 dispose « la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication… sont garanties à tous, sous réserve du respect de l’ordre public ».

La nouvelle loi N° 19/2016 du 09 août 2016  portant Code de la communication, présentée ce 29 novembre 2016 à Libreville, par le ministre de la Communication Alain-Claude Bilie-Bi-Nzé, porte en son sein,  une volonté non dissimulée, de restreindre la liberté de ton de certains médias hostiles au régime dont il est le porte-parole.

Comme toutes les confections grossières qui ne résistent pas à l’épreuve de l’analyse, il sera démontré dans cet article, la consonance anticonstitutionnelle de la loi précitée à travers, l’antinomie de ses dispositions et de l’usage masqué de la notion d’intérêt général.

De l’antinomie notoire des dispositions

En affirmant que « désormais un gabonais résidant hors du Gabon ne pourra plus être directeur de publication d’un organe de presse au Gabon, et ne pourra plus écrire régulièrement dans un organe de presse » destiné à paraître au Gabon, le gouvernement gabonais pose les jalons d’une censure de la presse qui n’a jamais été aussi véhémente et ostensible. Sans la moindre réticence, elle tord le coup à un principe édicté par la Déclaration des Droit de l’homme et du Citoyen dont l’article 4 consacre la liberté d’entreprendre en donnant à autrui la possibilité de « pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui… ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits »

Non content de violer ce principe, le nouveau code de la Communication contrevient aux dispositions de l’article 1er alinéa 3 de notre Constitution qui garantit « la liberté de conscience, de penser d’opinion, d’expression et de communication » en ayant pertinemment conscience de ce que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions« . Or, à en saisir la substance, cette loi semble être taillée sur mesure pour des journalistes dont l’identité n’échappe à personne, exilés comme par le charme d’un parfait hasard.

Pourchassés et marginalisés pour leurs opinions, poussés à l’exil, ces dispositions du code de la Communication sont investies du seul dessein de bâillonner leur liberté de ton, dont les salves gênent visiblement aux entournures.

 Assistons  nous à une « Burundisation » et une «Birmanisation » du Gabon ? Sinon comment expliquer pareilles velléités de censure quand une disposition du même code garantie le contraire ?

En effet, fondé des dispositions dudit Code dont l’article 11 précise «  Toute intervention tendant à restreindre ou à suspendre directement ou indirectement, la liberté de la presse écrite… constitue une  entrave à la liberté de communiquer », l’érection d’un tel article, devant les tribulations de son présentateur, nous invite à constater, avec gravité, l’incohérence d’une telle disposition.  

Dans la pratique, cette disposition a pour but de permettre la liberté d’opinion et de pensée à travers la liberté de la presse. Toutefois, cette liberté vaut pour les informations accueillies avec faveur et considérées comme inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. De ce fait, il se déduit que le gouvernement gabonais, selon les bonnes pratiques du droit, ne peut se servir de cette nouvelle loi, pour anéantir un droit et une liberté prévus par un Code qu’il légitime de son propre fait.

Porté par ce desideratum maladif tendant à limiter la liberté de la presse, le législateur a consacré deux dispositions qui se révèlent être, in fine, totalement antinomiques.

Inadéquation et Inconstitutionnalité constatées.

 La liberté d’expression est un droit humain fondamental garanti par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et suivants.

 

En cette occurrence, le Gabon est signataire des Chartes et conventions africaines précitées. Par conséquent, il est astreint au respect des dispositions édictées par celles-ci portées par leur valeur constitutionnelle au regard du considérant de principe rendu par la Cour Constitutionnelle le 28 février 1992. En effet, au terme de cette décision la Cour Constitutionnelle consacrait l’idée selon laquelle « La conformité d’un texte de loi doit s’apprécier non seulement par rapport aux dispositions de celle -ci mais également par celle de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dont le Gabon a solennellement affirmé son attachant et qui constitue avec la Constitution, ce qu’il est convenu d’appeler le bloc de constitutionnalité »

 

En d’autres termes, en application des dispositions légales, seront frappées d’inconstitutionnalité, toutes dispositions issues des lois gabonaises qui contreviendraient aux principes consacrés par la Charte dont le Gabon est souscripteur. A cet égard, l’article 180 de la « loi Bilie-Bi-Nzé » prévoit la « responsabilité solidaire » de tous les acteurs issus de la chaîne de production des médias de la presse écrite. Or, l’article 7 deuxièmement in fine, de la Charte des Droits de l’Homme et des Peuples du 26 juin 1981 dispose : « La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ». 

 

A la lecture dudit article, la seule expression « personnelle » porte en elle les germes de l’inconstitutionnalité de cette loi. Pour donner le change à la vérité juridique, le porte parole du gouvernement, s’est engagé dans une démarche insidieuse, consistant à porter sa loi au delà des limites prévues par le Bloc de constitutionnalité.

 

 En consacrant la « responsabilité in solidium » dans sa loi N°19/2016 du 09 août 2016, le gouvernent gabonais expose à l’inconstitutionnalité une loi en réalité antidémocratique, mais érigée, puis camouflée au nom d’une prétendue prévention des éventuels troubles à l’ordre public. Une Inconstitutionnalité née des violations des textes édictées par le Bloc de constitutionnalité et érigés en principes fondamentaux par la Cour Constitutionnelle.

 

 

Trouble à l’ordre public : Une raison farfelue ?

S’agissant du trouble à l’ordre public et au nom de la cohésion nationale, en vertu duquel, le gouvernement semble se prémunir, on ne saurait occulter le fait selon lequel, au sein de la presse écrite, les genres journalistiques sont divers et variés. Aussi, leurs virulences sont fonctions de leur sensibilité politique. Ainsi, certaines maisons d’éditions qualifiées prosaïquement d’opposition, sont plus enclines à porter contre le pouvoir des informations dont la sensibilité et la dureté font présumer l’orientation politique. Pour autant, l’on ne saurait s’appuyer sur cette caractéristique, pour occulter la vérité qui s’y cache. D’autant plus que dans l’exercice de l’acerbité des propos, la presse favorable au régime n’a rien à envier à son homologue de l’opposition.

En ce sens, la Cour Européenne des droits de l’homme de Strasbourg a émis trois principes fondamentaux en matière de presse écrite à savoir, entre autres, « le droit à linformation » et « le droit à une certaine dose dexagération, voire de provocation ».

Constat fait, sous d’autres cieux, la loi étend la pratique de la liberté de la presse aux informations empreintes de provocation. De ce fait, prendre appuie sur des propos supposés injurieux, sensibles, puis, opportunément qualifiés de nuisibles pour l’ordre public, dans le seul but de bâillonner une liberté fondamentale, est une argutie totalement irrecevable au regard de notre Constitution, circonscrite au respect des principes qu’elle consacre.

Serait-on plus disposé à dénoncer la restriction de liberté d’une presse outrageusement séditieuse et impie comme « Charlie Hebdo » mais moins enclin à garantir le tiers de cette liberté chez soi ?

Quelle logique peut-on tirer d’une démarche consistant à prendre fait et cause pour la liberté de la presse en France alors qu’on pose des actes contraires pour son pays ? 

A titre d’information, l’article 1 du titre 2, De l’atteinte à la liberté d’expression issue de la Déclaration de principes sur la Liberté d’expression en Afrique dispose : « aucun individu ne doit faire lobjet dune ingérence arbitraire à sa liberté dexpression ». A l’alinéa 2 d’ajouter « Toute restriction à la liberté dexpression doit être imposée par la Loi, servir un objectif légitime et être nécessaire dans une société démocratique », sauf qu’ériger une loi expressément destinée à une presse au regard de ses considérations politiques, semble définitivement tomber sous le sens.

Au comble de l’incohérence, le nouveau Code la communication brille par son aspect despotique, anticonstitutionnel et antinomique au regard des nombreuses dispositions fondamentales dont elle viole la substance et de la liberté d’expression dont elle souille les principes.

En définitive, en relayant sur la place publique l’esprit de la « loi Bilie-Bi-Nzé » le ministre de la Communication foule au pied  l’importance cruciale de la liberté d’expression en tant que droit humain individuel, pierre angulaire de la démocratie et aussi en tant que moyen pour garantir le respect de tous les droits humains et libertés fondamentales de l’homme.

Juriste*

Co-fondateur de Que dit la loi

 

 

 

 

 

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